Polemag #31 Interview: Kokou Sefako Amelewonou
Dans notre dernière édition du magazine d'actualité de l'IIPE-UNESCO Dakar, Polemag #31, qui se consacre à la Réalisation de l'éducation inclusive, decouvrez l'Interview de Kokou Sefako Amelewonou, spécialiste de l'éducation, accès équitable et inclusif, bureau régional de l'UNICEF pour l'Afrique Centrale et de l'Ouest.
Comment expliquez-vous le très grand nombre d’enfants non scolarisés en Afrique de l’Ouest et du Centre ?
Les chiffres sont effectivement inquiétants. Les estimations de l’UNICEF pour 2020 font état d’environ 39 millions d’enfants et d’adolescents en dehors de l’école dans la région, soit 29 % de la population du primaire et du premier cycle du secondaire. Cette situation s’explique par la combinaison d’une forte croissance démographique et d’une faible performance des systèmes éducatifs de quelques pays en termes d’accès à l’éducation. Dans la majorité des pays, toutefois, c’est surtout la capacité à retenir les élèves à l’école qui pose problème. Bien que de grands progrès aient été réalisés en matière de scolarisation, l’objectif de l’éducation primaire universelle reste un « chantier inachevé » dans la région, puisqu’un enfant sur trois ne va pas au terme du cycle primaire dans 12 des 24 pays de la région.
Les crises et les conflits structurels dans certains pays de la région constituent par ailleurs un facteur aggravant d’exclusion scolaire.

De Plus, l’accès reste très inéquitable pour les filles en
milieu rural, et les filles et garçons vulnérables
de façon générale. Les disparités sont encore
plus prononcées chez les enfants en situation de
handicap et les enfants issus des familles les plus
pauvres.
Il est utile de préciser que la majorité des enfants
dits non scolarisés suivent en réalité des parcours
d’apprentissage alternatifs. Considérés comme
non formels, ces programmes de formation ou
d’éducation coranique sont rarement reconnus
officiellement par les gouvernements. Par
conséquent, les qualifications qu’ils offrent ne
permettent pas de continuer à des niveaux plus
élevés de formation dans le système formel.
Quelles réponses apporter face aux défis de l’équité et de l’inclusion ?
Pour apporter une réponse cohérente et globale aux défis de l’équité et de l’inclusion, les réalités du terrain imposent d’utiliser les écoles et les parcours alternatifs d’apprentissage comme plateformes pour fournir des services intégrés aux élèves et aux apprenants. L’enjeu est de répondre aux multiples barrières auxquelles font face les enfants en matière de santé et de nutrition, la supplémentation en vitamine A, l’accès à l’eau ou encore à l’hygiène menstruelle.
Pour ce faire, avec l’appui de leurs partenaires, les pays doivent élaborer des politiques éducatives et mettre à l’échelle des stratégies d’intervention efficaces, qui utilisent l’école comme une plateforme pour la mise en oeuvre d’approches multisectorielles qui s’attaquent aux barrières de l’exclusion scolaire (accès et achèvement) à la racine, en particulier pour les enfants de milieux défavorisés.
Il s’agit aussi de permettre à tous les enfants d’acquérir de solides compétences fondamentales en lecture, écriture et calcul, mais également de développer très tôt d’autres compétences. Des compétences socio-émotionnelles via l’apprentissage par le jeu pour préparer les enfants à l’école primaire et des compétences
pratiques, relatives aux moyens de subsistance. Investir dans l’apprentissage préscolaire et primaire est un enjeu clé pour développer les performances et réduire les abandons.
Pour réduire les vulnérabilités et l’exclusion, il est essentiel de renforcer les capacités des acteurs en matière d’analyse des conflits et des risques mais aussi de planification de l’éducation sensible aux crises. Parmi les autres réponses à privilégier, l’élargissement des programmes – de l’école coranique au-delà de l’éducation religieuse doit être envisagé, en améliorant sa qualité et en garantissant une passerelle avec le système d’éducation formel. De même, renforcer la disponibilité et l’accès à des données désagrégées sur les enfants et les adolescents en situation de handicap est un préalable clé pour faire progresser l’éducation inclusive.
Enfin, établir des passerelles entre les approches formelles et non formelles – et plaider pour la reconnaissance officielle des opportunités d’apprentissage non formel à travers la certification des formations – permettra d’améliorer l’employabilité des jeunes, y compris des adolescents non scolarisés.
Que proposer aux jeunes hors du système d’éducation et de formation ?
En moyenne, seuls 47 % des adolescents ont achevé le premier cycle de l’enseignement secondaire en 2020, en Afrique de l’Ouest et du Centre. Plusieurs interventions peuvent être envisagées pour contribuer au développement des compétences des adolescents non scolarisés.
Il s’agit d’abord de garantir l’acquisition des notions de base en lecture, écriture et calcul pour celles et ceux qui ne sont jamais allés à l’école, ou qui ont été déscolarisés pour une période relativement longue. En plus de l’approche classique dans les centres d’apprentissage, d’autres modalités peuvent être utilisées en faveur d’une éducation pour toutes et tous : le recours à la télévision, à la radio ou aux plateformes numériques, notamment. L’éducation inclusive doit aussi s’appliquer aux programmes d’apprentissage alternatifs, qui devraient reposer davantage sur une approche par compétences.
Développer les compétences numériques de ces jeunes et leur capacité à utiliser les technologies est un point important. Il s’agit donc d’identifier des solutions numériques adaptées, susceptibles de renforcer l’efficacité des parcours d’apprentissage alternatifs. Pour les plus âgés enfin, les efforts doivent se concentrer sur le soutien aux programmes formels et non formels leur permettant de réussir la transition entre formation et emploi.