Promouvoir les innovations : une priorité pour mieux piloter la qualité de l’éducation en Afrique

Journées de suivi des acquis scolaires à l’échelle des communes, espaces de partage entre pairs, classes ‘promenades’, enseignement par le jeu : comment certaines pratiques professionnelles des personnels enseignants, encadreurs ou inspecteurs impactent-elles la qualité de l’éducation offerte aux élèves ? Et surtout, comment identifier les meilleures pratiques, encourager les initiatives innovantes, en assurer le suivi et les faire adopter à plus grande échelle ? Ces questions ont été au cœur d’un atelier régional de partage d’expériences, qui a rassemblé 11 pays et 250 participants fin février 2022.

En bref
  • Près de trois élèves africains sur cinq ont des compétences insuffisantes en lecture et en calcul en fin de primaire.
  • L’IIPE Dakar conduit depuis 2018 un programme innovant d’appui au pilotage de la qualité de l’éducation. Ce projet concerne aujourd’hui 15 pays d’Afrique, à divers degrés d’implication et d’avancement.
  • Du 21 au 25 février 2022 s’est tenu le deuxième atelier régional permettant à 11 pays et 250 participants de partager leur expérience.
  • Les premiers résultats montrent que la promotion des innovations en éducation est l’une des cinq grandes priorités pour améliorer le pilotage de la qualité de l’éducation sur le continent.
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Après plusieurs décennies de hausse de la scolarisation en Afrique, la qualité de l’éducation devient la priorité pour les systèmes éducatifs du continent. Dans son programme d’appui au pilotage de la qualité de l’éducation l’IIPE-UNESCO Dakar aborde ce défi à travers un angle jusque-là peu exploré : le rôle des acteurs de terrain. Conduire un diagnostic participatif est la première étape à laquelle se prêtent tous les pays impliqués dans le programme.

Diagnostics participatifs : premiers résultats dans quatre pays 

Ainsi, suivant la méthodologie développée par l’IIPE Dakar, les membres de chaque équipe nationale se mobilisent pendant neuf mois pour identifier, décortiquer et analyser des pratiques professionnelles très concrètes, susceptibles d’améliorer la qualité de l’éducation dans leur pays. Il s’agit non seulement des pratiques pédagogiques du personnel enseignant dans les salles de classe - mais aussi plus largement des pratiques managériales et de pilotage, impliquant des acteurs de terrain à différents niveaux du système éducatif : encadreurs, inspecteurs, formateurs et autres personnels du ministère de l'Éducation au niveau central ou déconcentré… Dans tous les cas, l’objectif de ces diagnostics est toujours d’aller au-delà de ce qui est officiellement préconisé dans les textes et politiques nationales, pour comprendre ce qui se passe en pratique sur le terrain - et recueillir le point de vue des principaux intéressés.

Alors que quatre pays africains réalisent actuellement leur propre diagnostic participatif, quatre autres pays ont déjà finalisé cette première étape, riche en enseignements. C’est le cas du Burkina Faso, de Madagascar, du Nigeret du Sénégal.

Des initiatives inspirantes… qui ouvrent de nombreuses questions

Parmi les pratiques repérées par les équipes nationales pendant cette phase de diagnostic figurent de nombreuses initiatives informelles ou isolées, qui passent le plus souvent sous les radars du pilotage des systèmes éducatifs.

  • Au Sénégal, par exemple, le diagnostic a mis en évidence des partenariats officieux de formation continue entre membres des équipes enseignantes. Localement, certains établissements organisent des « palabres pédagogiques » sous forme de “thé-débats” pendant les récréations voire même le week-end au domicile d’un des collègues, pour pallier le manque de mutualisation des pratiques pédagogiques.  “Face au défi de l’amélioration de la qualité de l’éducation, ces initiatives sont relativement innovantes et témoignent d’une forme de résilience des acteurs de terrain face aux réalités qu’ils rencontrent”, explique Moussa Hamani Ounteni, expert en planification et analyse institutionnelle à l’IIPE Dakar.
     
  • Au Burundi, l’équipe nationale actuellement en charge du diagnostic a aussi identifié d’intéressantes initiatives du personnel enseignant pour aider les élèves à se concentrer et à mémoriser les leçons vues en classe. Prenons l’exemple de cet instituteur, qui demande systématiquement à ses élèves, après chaque séance pédagogique, ce qu’ils pensent dire à leurs parents quand ces derniers chercheront à savoir ce qu’ils ont appris à l’école aujourd’hui… Une manière d’inviter les enfants à dégager eux-mêmes la synthèse de leurs apprentissages.  Pour favoriser l’autonomie en classe, d’autres enseignantes et enseignants incitent les élèves à tenir un petit bloc note personnel, dans lequel chacun peut inscrire les informations qu’il ou elle estime importantes à retenir : règles, formules… etc.

“Qu’est-ce que vous direz à vos parents quand ils vous demanderont ce que vous avez appris à l’école aujourd’hui ?”

Pourtant, “les agents ont tendance à dévaloriser ce type d’initiatives quand elles ne sont pas officiellement prescrites par les autorités”, observe Triphine Safari, Conseillère pédagogique au Bureau d’études des curricula (BACPEF) du Burundi - et membre de l’équipe nationale de recherche de ce pays pour le programme. Si quelques rares encadreurs encouragent ces pratiques originales (sans pour autant capitaliser dessus), les autres insistent surtout sur le fait qu’elles ne figurent pas dans le guide de l’enseignant - et peuvent aller jusqu’à sanctionner verbalement ces prises d'initiatives.

Valoriser les innovations : un besoin commun aux systèmes éducatifs africains

Depuis les salles de classe jusqu’aux différents échelons des systèmes éducatifs, les grands succès en faveur de la qualité de l’éducation tiennent souvent à de petites innovations. Faut-il encore que les initiatives remarquables issues du terrain soient soutenues et encouragées à différents niveaux du système. La question de l’accompagnement et du pilotage des innovations est donc déterminante. Les premiers diagnostics nationaux menés dans le cadre du programme “pilotage de la qualité” ont fait ressortir cinq thématiques convergentes dans les différents pays. La promotion des innovations issues du terrain apparaît clairement comme l’une d’elles.

“Le manque d’incitation, de capitalisation et de valorisation des innovations en éducation est un frein majeur au pilotage de l’innovation en Afrique. Renforcer les capacités des pays à identifier les initiatives isolées, à recenser et partager les pratiques innovantes est un enjeu prioritaire.”

Émilie Martin
Analyste et spécialiste des politiques éducatives à l’IIPE Dakar

Le programme d’appui au pilotage de la qualité de l’éducation de base en Afrique cherche à déterminer les leviers d’amélioration continue de l’offre éducative, en s’intéressant au rôle des acteurs de terrain : personnels enseignants, encadreurs, personnel des administrations éducatives au niveau central et déconcentré….

Les “petits tuteurs” : une expérimentation mise à l’épreuve au Niger

Le programme d’appui au pilotage de la qualité de l’éducation est original, dans le sens où les diagnostics initiaux ne débouchent pas d’emblée sur des recommandations théoriques, mais sur des chantiers de travail très concrets. Objectif : confronter et ajuster des pratiques de terrain jugées prometteuses à la réalité de leur adoption et de leur appropriation par le système éducatif.

  • Au Niger, le diagnostic mené en 2019 a ouvert la voie à une expérimentation répondant spécifiquement au besoin de promouvoir et d’accompagner les innovations en éducation. Concrètement, il prend la forme d’ateliers de micro-enseignement tutoré dans deux écoles de Niamey et Tahoua. Il s’agit, autrement dit, de réorganiser le travail en groupe de la classe, sous la responsabilité de plusieurs élèves tuteurs préparés par l’enseignant. Cette solution s’inscrit dans un contexte éducatif nigérien, où les classes surchargées et multigrades ne permettent pas au personnel enseignant d’accorder une attention suffisamment personnalisée aux élèves en difficulté.

“L’un des défis les plus importants est la capacité du système éducatif nigérien de se saisir de cette pratique pour développer une ingénierie de la formation initiale et continue permettant au personnel enseignant, en service ou en formation, d’avoir toutes les clés pour adopter efficacement cette pratique”, explique Idrissa Moussa, Directeur des études de l’Ecole Normale des Instituteurs de Niamey. C’est précisément l’enjeu de l’appui en cours de l’IIPE Dakar auprès de l’équipe nationale.

Une solution testée au Sénégal pour aider les inspecteurs et directeurs à questionner leurs pratiques d’accompagnement pédagogique

Au Sénégal, l’une des expérimentations lancée suite au diagnostic s’empare d’un autre enjeu : la mutualisation des pratiques qui visent à améliorer la qualité de l’éducation. Le diagnostic national a en effet montré que les inspecteurs ont souvent des points de vue divergents sur la manière d’aborder les contrôles de conformité des personnels enseignants au sein d’un même département. En outre, faute d’un nombre suffisant d’inspecteurs, l’accompagnement de proximité des enseignants est parfois délégué aux directeurs d’école, qui manquent de préparation pour assurer cette fonction. Malgré un cadre institutionnel bien défini au Sénégal, l’accompagnement des inspecteurs et des directeurs fait défaut, faute de dispositifs mis à leur disposition pour discuter et mettre en commun leurs pratiques. Pour répondre à ce besoin, des “Groupes d’entraînement à l’analyse des pratiques professionnelles” sont actuellement expérimentés au Sénégal dans le cadre du programme. Objectif : construire des espaces de dialogue, de réflexion et de développement professionnel dédiés à chacun de ces deux publics, pour les aider à prendre du recul et faire évoluer leurs pratiques.

Innover en éducation : de quoi parle-t-on ?

Classes dialoguées, dictées coopératives, technique d’études du milieu, enseignement ludique…certaines pratiques pédagogiques dites innovantes abordées lors des discussions de l’atelier régional s’appuient sur des modèles anciens. Le recours aux pédagogies Montessori, Freinet, ou même à d’autres méthodes nées dès le 18e siècle, ont notamment été évoquées. Peut-on vraiment parler d’innovations quand il s’agit d’approches déjà connues ? “La question du développement de ces pratiques se pose encore, car en dépit de leur efficacité, on ne leur a jamais donné la chance d’éclore au sein des systèmes éducatifs… le passé n’est pas forcément là où l’on croit”, remarque Brian Bègue, consultant en pilotage de la qualité de l’éducation à l’IIPE Dakar.

Pour l’IIPE Dakar, toute solution éprouvée par un acteur de terrain dans le but d’améliorer la qualité de l’éducation est, par définition, considérée comme une innovation en éducation, dès lors qu’elle est non connue ou non prescrite par les autorités éducatives du pays. Ainsi, une innovation n’est pas forcément révolutionnaire : elle repose souvent sur de petites choses susceptibles de déclencher de grands changements.

Un autre enjeu clé soulevé en marge des échanges est celui du risque potentiel que constituent certaines innovations en éducation. Si les ministères doivent impérativement bénéficier de solides preuves d’efficacité avant de mettre une pratique innovante à l’échelle, l’inertie apparaît aussi comme un risque majeur. “Le modèle traditionnel a fourni de nombreuses preuves de son inefficacité. Que perd-on à vouloir le mettre de côté ?”, s’interroge le consultant.

“Les diagnostics menés jusque-là avec les pays participants montrent que la marge de progression est grande en matière de suivi et d’accompagnement de la transformation des pratiques professionnelles. L’autre grand chantier concerne la capitalisation. Nous devons inciter les systèmes et les agents à produire des données fiables, à innover, à documenter leurs pratiques, à créer des espaces de dialogue pour partager les bonnes pratiques…”

Patrick Nkengne
Responsable du programme d’appui au pilotage de la qualité à l’IIPE Dakar

En savoir plus sur les premiers résultats du programme d’appui au pilotage de la qualité de l’éducation de base et la synthèse des discussions de l’atelier régional de partage.

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