Qualité : Répondre à la crise de l’apprentissage
Malgré des années de croissance forte et régulière du taux de scolarisation en Afrique subsaharienne (1), une crise des apprentissages menace l’avenir de générations entières. Dans la région, plus de huit enfants sur dix n’acquièrent pas les seuils minimaux de compétence en lecture et en mathématiques. Pourquoi la massification rapide de l’éducation ne s’est-elle pas accompagnée d’apprentissages de qualité pour tous et comment y remédier ? Éléments de réponse.
Suite à la Convention relative aux droits de l’enfant de 1989, à la Déclaration de Dakar en 2000 ou à celle d’Incheon en 2015, les États et leurs partenaires ont mis en place des actions fortes en faveur du droit à l’éducation. Près de neuf enfants d’âge scolaire sur dix sont inscrits à l’école primaire à travers le monde (2). En Afrique subsaharienne, les progrès en matière d’accès à l’enseignement ont été particulièrement rapides et significatifs à partir des années 2000, même si des dizaines de millions d’enfants ne vont toujours pas à l’école. Mais à mesure que les écoles se remplissent, de nombreux signaux révèlent que les élèves en tirent peu de profit.
53 % des enfants des pays à revenus faibles et moyens sont en situation de pauvreté d’apprentissage : ils ne peuvent pas lire et comprendre un texte simple à la fin de l’école primaire. Dans les pays pauvres, ce taux peut monter à plus de 80 % (3).
La « pauvreté d’apprentissage » : une tendance inquiétante
Alors que dans le monde un enfant et adolescent sur cinq en âge de fréquenter l’école primaire et secondaire vit en Afrique subsaharienne, la région abrite un tiers de ceux qui ne savent pas lire correctement. Sur le continent, après au moins six années de scolarité primaire, environ 60 % des élèves ont des compétences insuffisantes en calcul et en lecture4. Si les tendances actuelles se poursuivent, cette crise touchera environ 202 millions d’enfants et d’adolescents. Beaucoup d’entre eux surmonteront difficilement ce handicap initial dans leurs apprentissages. Ils seront nombreux à perdre confiance en eux-mêmes. Que s’est-il passé ? Y a-t-il une fatalité à ce que la massification de l’accès à l’école affecte la qualité des apprentissages ? Ou ne s’agit-il que d’un accident, d’une crise de croissance que les acteurs seront bientôt en passe de surmonter ?
Face à l’afflux d’élèves, des solutions temporaires devenues pérennes
Les systèmes éducatifs n’étaient pas préparés à cette massification rapide, qui a constitué l’objectif principal, sinon unique, des politiques pendant plusieurs décennies. En témoigne l’exemple des constructions scolaires ou celui de la diversification du recrutement des enseignants.
En guise de bâtiments, des paillotes et autres constructions provisoires sont partout sorties de terre, par nécessité, mais sans les conditions minimales d’hygiène, de confort et de sécurité. Quant aux ressources humaines, de nombreux pays ont dû recruter à la hâte de jeunes enseignants que rien ne préparait au métier. Ils ont été parachutés dans des classes sans véritable formation pédagogique et sous des statuts précaires. Face au manque d’enseignants, des parents ont quelquefois été contraints d’embaucher eux-mêmes des maîtres communautaires dévoués mais non préparés, les rémunérant parfois en nature. Provisoires et fragiles, ces solutions sont peu propices à l’apprentissage.
Sans compter le manque de moyens opérationnels permettant aux administrations locales d’être en contact régulier avec les écoles et les enseignants. Ou les faibles moyens financiers accordés aux outils d’apprentissage, livres ou autres matériels. La qualité des apprentissages s’est dégradée au point qu’une crise des apprentissages est aujourd’hui dénoncée par de nombreux acteurs.
Au-delà du manque de moyens, la pédagogie en question
Face à un nouveau public d’enfants, dont les parents n’ont pas fréquenté l’école et ont déjà fort à faire, les pédagogies n’ont pas été suffisamment adaptées à l’environnement local (langue, culture, etc.). Les thèmes d’apprentissage sont souvent déconnectés de la réalité des enfants et les calendriers scolaires ne sont pas en phase avec les activités communautaires, comme les saisons agricoles, durant lesquelles les enfants viennent souvent en aide à leur famille. Autrement dit, le modèle uniforme de l’école n’a pas su s’adapter aux besoins de nouveaux publics.
Gouvernements et partenaires ne restent pas les bras croisés face à cette crise des apprentissages. De nombreux plans et projets sont en place. Des observations de la pratique en classe ont pu mettre au jour les principales difficultés que rencontrent les enseignants et toute la chaîne de supervision de la qualité des apprentissages. Les leçons tirées de ces études devraient permettre de piloter plus efficacement la qualité, de revoir les programmes de formation des enseignants et de les aider à adapter leurs méthodes.
La régularité du suivi : un enjeu clé
Mettre en place ou renforcer les instruments pour une évaluation nationale régulière des apprentissages est une nécessité absolue, en particulier au cycle primaire. Les objectifs sont de mesurer les progrès et d’alerter à temps si la qualité se dégrade. Ces outils peuvent également éclairer les gestionnaires et planificateurs de l’éducation sur l’efficacité des mesures visant à restaurer la qualité des apprentissages. Par exemple, dans quelle mesure les résultats scolaires ont-ils évolué suite à une réforme des approches pédagogiques, une augmentation de la dotation en livres ou la mise en place d’un programme d’amélioration en lecture et mathématiques ? Les résultats de ces mesures sont souvent complexes à interpréter, mais ont le mérite de fédérer l’attention des acteurs autour des problématiques de la qualité.
Des perspectives prometteuses
Au-delà de la gestion pédagogique, le pilotage adminis-tratif – dont tout indique qu’il occupe une place impor-tante dans la qualité des apprentissages – fait aussi l’ob-jet d’études fondées sur des méthodologies nouvelles.
L’IIPE-UNESCO Dakar est impliqué dans ces recherches. Fixe-t-on des objectifs réalistes et soutenables avec les agents qui vont les mettre en œuvre ? Comment accompagne-t-on les équipes aux changements politiques ? Les systèmes devraient porter plus d’attention à ces questions clés de gouvernance et de choix publics.
Des expérimentations existent. Plusieurs pays – dont le Sénégal et le Cameroun – se sont emparés de la question des langues nationales pour les premiers apprentissages. Le Niger étudie les effets d’un resserrement des programmes pour les petites classes autour des acquisitions fondamentales. D’autres initiatives prennent forme : mise en place d’outils de mesure systématique du temps scolaire ou déploiement de réseaux de formation à distance pour les enseignants. Ces perspectives pédagogiques sont d’autant plus intéressantes avec la crise liée à l’épidémie de Covid-19.
Tout cela témoigne de la préoccupation croissante autour de la question de la qualité des apprentissages et apparaît comme un tournant important dans l’agenda du développement. Pour autant, il n’y aura pas de recette miracle et bon marché pour régler cette crise des apprentissages. Le changement dans les dix ou quinze années à venir interviendra au prix d’une construction progressive de nouveaux consensus sociaux et politiques autour de l’éducation.
(1) UNESCO, « 617 millions d’enfants et d’adolescents n’acquièrent pas les compétences minimales en lecture et en mathématiques » 2017
(2) Données 2018 de l’Institut de statistique de l’UNESCO
(3) Données de l’Institut de statistique de l’UNESCO ; Banque mondiale.
(4) PASEC, Qualité des systèmes éducatifs en Afrique subsaharienne francophone : Performances et environnement de l’enseignement-apprentissage au primaire, 2019
Du temps pour apprendre
En Afrique subsaharienne, le taux d’absentéisme des enseignants varie entre 15 et 45 % (1). Même si les preuves restent rares, leur faible présence dans les salles de classe – pour cause de santé, d’intempé-ries ou de problèmes administra-tifs – affecte la qualité des appren-tissages et contribue aux inégalités des résultats scolaires (2). Le retard récurrent des rentrées scolaires, les grèves ou l’absentéisme des enfants affectent aussi considérablement le temps de travail des classes.
Reste que cette question est complexe. De quel temps parle-t-on : les journées où l’école est ouverte, les heures où les enfants sont dans la classe ou les minutes où ils travaillent de façon attentive ? Une école qui semble assidue peut, en réalité, faire travailler très peu ses élèves.
Certes, il est difficile de mettre en place des mécanismes de mesure fiables et permanents à grande échelle. Un tel dispositif serait lourd et coûteux pour les gestionnaires et pourrait être rejeté par les enseignants qui y verraient du contrôle.
Quelques directions se dessinent toutefois pour réduire les pertes de temps d’apprentissage. En observant leurs classes, les administrations locales peuvent proposer des solutions adaptées. Les adminis-trations centrales ont notamment un rôle clé à jouer pour limiter les retards d’affectation des ensei-gnants, gérer les avancements de carrière ou faire évoluer les percep-tions salariales. Remplacer les pail-lotes végétales par des construc-tions durables éviterait la perte de semaines d’école.
Enfin, une réflexion plus structurelle sur la répartition des jours et des heures de classe dans la semaine et dans l’année pourrait mener à des rythmes mieux adaptés aux enfants.
(1) Banque mondiale, 2017
(2) UNICEF, Time to Teach: Teacher attendance and time on task in Eastern and Southern Africa, 2020, Afrobaromètre 2020
Apprendre à lire, mais pour lire quoi ?
De nombreux enfants ont une scolarité infructueuse faute d’avoir pu maîtriser la lecture.La rareté des livres dans les écoles est une première explication. Le nombre de manuels scolaires ne correspond pas toujours à celui des élèves et, au final, chaque élève ne dispose pas de son propre manuel. L’enseignant peine à gérer leur distribution et leur utilisation. Parfois, leur contenu est déroutant pour le maître ou peu adapté à une utilisation en classe. Utiles aux enseignants comme aux enfants, les livres documentaires ou de fiction sont encore plus rares, tout comme les dictionnaires ou les atlas. Résultat : le tableau est parfois le seul support des leçons. L’enfant le copie comme il peut, souvent sans aide. Son apprentissage est donc purement formel : il s’essaie à lire, mais n’a rien à lire.
Il y a heureusement des raisons d’es-pérer. L’accès documentaire numé-rique à très bas coût se répand. Dans certains pays, on peut déjà téléchar-ger des manuels du secondaire sans frais, depuis un téléphone, grâce à des initiatives militantes. Des édi-teurs privés africains de littérature jeunesse parient aussi sur le numé-rique à prix réduit. Espérons que la majorité des écoles sauront saisir ces opportunités et qu’il n’y aura pas de disparités dans l’accès à ces nouveaux canaux d’apprentissage.
Changer les pratiques pour améliorer la qualité de l’éducation : Notre action
En réponse à la crise mondiale des apprentissages, l’IIPE-UNESCO Dakar propose, en collaboration avec ses partenaires (notamment l’AFD), un programme d’appui au pilotage de la qualité de l’éducation de base en Afrique. Il vise à accompagner les acteurs, à tous les échelons du système éducatif, dans une transformation durable de leurs pratiques professionnelles. La démarche s’appuie notamment sur un diagnostic participatif et sur la co-construction de solutions coordonnées et contextualisées. En parallèle des missions d’appui technique, ce programme innovant se traduit par la production et le partage de connaissances et de ressources méthodologiques en faveur d’une meilleure qualité de l’éducation.