Analyse du secteur de l’éducation de la Mauritanie
Engagée dans une transformation de son système éducatif mais encore loin d’offrir une éducation pour tous, la Mauritanie fait l’état des lieux de son enseignement dans un nouveau rapport d’analyse du secteur de l’éducation réalisé avec l’IIPE-UNESCO Dakar.
Avec sa nouvelle loi adoptée en 2022, la Mauritanie s’est engagée dans une importante réforme de son système éducatif instaurant l’école obligatoire pour les 6-15 ans et sa gratuité. Mais d’immenses progrès doivent encore être réalisés pour parvenir aux objectifs de développement durable d’ici 2030 en matière d’éducation, dans ce pays à la pression démographique toujours significative, où la population en âge d’être scolarisée a plus que doublé entre 1988 et 2020.
Le nouveau rapport d’État du système éducatif national (RESEN), produit avec l’appui de l’Institut international de planification de l’éducation (IIPE-UNESCO-Dakar), offre une analyse poussée du paysage éducatif mauritanien actuel. En identifiant les nombreux obstacles à une école de qualité pour tous, il peut servir d’outil aux acteurs nationaux de l’éducation, mais aussi aux partenaires techniques et financiers, dont l’objectif commun est l’amélioration de l’offre éducative.
Des problèmes de scolarisation et de qualité
Les auteurs du rapport livrent un tableau très précis de l’état de l’école et de son financement en Mauritanie. Même si des progrès ont été réalisés, en partie grâce à l’augmentation des dépenses totales d’éducation, la Mauritanie est encore loin d’une scolarisation universelle. « Le taux d’achèvement du primaire n’atteint pas encore 70%, loin des ODD 2030 », souligne Thomas Poirier, Analyste principal des politiques éducatives à l’IIPE-UNESCO Dakar. Le pays est confronté à des phénomènes de déscolarisation, de sorties précoces à chaque fin de cycle et d’entrées en primaire à un âge trop avancé. En conséquence « le nombre d’enfants non scolarisés est extrêmement important », complète l’analyste. Et pour tous ceux qui quittent le cursus général, les secteurs techniques et professionnels ne disposent pas des capacités d’accueil pour prendre le relais.
Au-delà de l’objectif d’une école pour tous, la qualité de l’école est à améliorer. Des problèmes de formations des enseignants et d’absentéisme, des infrastructures parfois sans eau ni électricité, ont un impact sur le niveau des élèves en Mauritanie, jugé faible. L’enseignement supérieur participe quant à lui difficilement à l’orientation professionnelle de ses diplômés, qui connaissent de grandes difficultés à s’insérer sur un marché du travail où domine l’informel.
Un point positif : la scolarisation des filles a beaucoup progressé. « On peut presque considérer la parité atteinte au niveau primaire », note Thomas Poirier. Cependant, les inégalités demeurent fortes dès le secondaire, l’écart entre filles et garçons se creuse, tant au niveau de l’accès à l’école que des résultats. Ces progrès sont donc à nuancer, car de nombreux facteurs de non-scolarisation des filles perdurent, dans un pays où une fois adultes, les femmes seront deux fois plus nombreuses au chômage que les hommes.
Faire en sorte que tous les enfants aillent à l’école
Le rapport indique de nombreux obstacles à la scolarisation, répartis de manière inégale selon les zones de ce pays où la pauvreté est élevée : déficit en infrastructures et en services de base, carte scolaire insuffisamment maîtrisée, écoles avec des classes manquantes, frais scolaires cachés, forte prévalence des grossesses adolescentes mais aussi inondations, sécheresses et crises alimentaires responsables de la malnutrition d’une partie des enfants mauritaniens. Des réalités propres à la Mauritanie sont aussi à prendre en compte, en particulier le rôle important de l’enseignement originel dans les Madraha. Beaucoup de jeunes commence leur scolarisation dans l’enseignement originel avant d’intégrer l’école moderne, souvent tardivement. « Des passerelles plus fluides et flexibles entre les deux systèmes seraient ainsi à créer » plaide Thomas Poirier.
Dans ce contexte, le premier objectif de la Mauritanie, rappelle Thomas Poirier, doit être « de faire en sorte que les enfants aillent à l’école et qu’ils y restent, en luttant contre les facteurs d’abandon scolaire, en particulier durant le cycle primaire ». Pour améliorer la qualité de l’enseignement, il faut offrir de meilleures conditions d’accueil, réduire le nombre d’enfants par classe, mieux former les enseignants et, enfin, revoir certains programmes. « La Mauritanie doit aussi investir dans le préscolaire ; proposer une transition plus fluide entre le cycle fondamental et le cycle secondaire puisque le niveau collège constitue désormais l’enseignement de base et faire des efforts sur la scolarisation des filles au niveau secondaire », énumère Thomas Poirier. Réformer l’enseignement professionnel doit devenir une priorité, tout comme il est urgent de diversifier les filières de l’enseignement supérieur, en tenant compte des débouchés professionnels.
Pour agir sur ces défaillances, les dépenses publiques dédiées à l’éducation doivent être maintenues à un niveau élevé. La Mauritanie doit aussi disposer d’outils pour se préparer et agir, en renforçant son Système d’information pour la réforme administrative et la gestion de l’éducation (SIRAGE) pour notamment lui permettre de mieux suivre l’évolution de l’égalité de genre, l’équité, l’inclusivité ou encore les conséquences des aléas climatiques sur l’école. En ce sens, la Mauritanie s’est dotée d’un nouveau Programme national de développement du système éducatif (PNDSE III), couvrant la période 2023-2030. S’inscrivant d’une part dans la Loi d’orientation du système éducatif national votée par l’Assemblée nationale le 27 juillet 2022 ainsi que dans le rapport des Concertations nationales sur la réforme du système éducatif national (2021) et, d’autre part, dans le second plan d’action de la Stratégie de croissance accélérée et de prospérité partagée 2021-2025 (SCAPP), ce plan sectoriel, accompagné d’un premier plan d’action jusqu’en 2026, vise à offrir une éducation de qualité à tous les enfants mauritaniens. Plusieurs réformes d’envergure sont d’ores-et-déjà engagées et prévues, comme l’élargissement de l’éducation de base à neuf années (primaire et collégial), la généralisation de la dernière année du préscolaire d’ici 2030 ou encore un enseignement en langues nationales.