Polemag #33 : Répondre à la crise des apprentissages - Entretien avec Dr Ahmadou Abdou Ali

Dans notre dernière édition du magazine d'actualité de l'IIPE-UNESCO Dakar, Polemag #33, consacré à répondre à la crise des apprentissages, découvrez l'Interview de Dr Ahmadou Abdou Ali, directeur général de la promotion de la qualité (DGPQ) au ministère de l'Education nationale du Niger.

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©UNESCO/Emily Pinna
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©UNESCO/Emily Pinna
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1) Le Niger a mené avec le soutien de l’IIPE un diagnostic des pratiques de pilotage de la qualité de l’éducation. Quels constats sont apparus ? Comment l’équipe nationale a-t-elle été impliquée ?

Une équipe de notre ministère a été constituée et s’est déplacée sur le terrain sous la coordination de l’IIPE, pour réaliser des observations et proposer des analyses du système éducatif du Niger. Elle a fait l’effort d’aller au plus près des acteurs chargés de la mise en œuvre des politiques éducatives qui travaillent dans les écoles, au niveau central, ou encore dans les inspections régionales ; sans oublier les comités de gestion des établissements, les associations de parents d’élèves et celles des mères éducatrices. Sur le terrain, ces experts ont pu identifier les difficultés qui empêchent le Niger d’atteindre ses objectifs en matière de qualité de l’éducation. Parmi leurs constats, il y a la rigidité de certaines pratiques pédagogiques, causée par des injonctions venues d’en haut. Un exemple : lorsque les conseillers pédagogiques vont dans une école, ils se contentent de vérifier que la méthode utilisée pour l’apprentissage de la lecture ou du calcul correspond bien à leurs attentes. Ces conseillers ne se rendent pas compte que, pour emmener les élèves vers l’apprentissage, les enseignants doivent souvent faire preuve d’un peu plus d’imagination. À ce propos, l’équipe nationale a aussi réalisé que notre système éducatif produit de nombreuses initiatives innovantes qui gagneraient à être connues. Or, il n’existe pas de cadre formel dédié au partage de ces expériences. Nous avons bien des cellules d’animation pédagogique, mais pour le moment, elles ne jouent pas ce rôle de transmission. Ce déficit de communication entre les différents acteurs a des conséquences directes sur le travail des enseignants et sur la qualité de l’éducation.

Dr Ahmadou Abdou Ali
Dr Ahmadou Abdou Ali

2) Suite au diagnostic, une première expérimentation nommée Shawara Karatua été réalisée sur l’utilisation des données locales. Quels résultats et enseignements en ont été tirés ?

Shawara Karatu est un terme haoussa, la langue la plus parlée du Niger, qui signifie « la concertation sur l’école ». Shawara Karatu est donc l’expression que nous avons choisie pour parler du fait de réunir tous les acteurs de l’école à l’échelle d’une commune autour d’une même table pour débattre des problèmes liés à la scolarisation et à la réussite scolaire. À la suite de ces débats, des actions concrètes et pertinentes ont été identifiées pour être réalisées à court terme (trois mois). Deux communes nigériennes ont été sélectionnées pour servir de cadre à cette première expérimentation.

Il s’agit des communes de N’Dounga et de Hamdallaye relevant de la région de Tillabéri. En amont, il a fallu recueillir les données scolaires, à la fois qualitatives et quantitatives, comme les rapports de rentrée scolaire, les rapports d’inspection, les résultats des évaluations et les statistiques scolaires. Ensuite, les membres de la communauté locale – leaders religieux, chefs traditionnels, maires, parents d’élèves, enseignants, etc. –, ont été réunis et ont réfléchi ensemble aux moyens d’améliorer leur école, en prenant en compte les résultats de la collecte de données. Grâce à ces échanges, les participants ont, par exemple, relevé que certaines données étaient mal enregistrées, dans le but de mettre en avant les résultats d’une école plutôt que d’une autre. Ce problème est à l’origine du passage en 6e d’élèves ne sachant parfois même pas écrire leur propre nom. Ces élèves en difficulté ont été mal évalués, puis mal orientés. Tous ces échanges sont donc très productifs et aident à identifier les vrais problèmes. Par ailleurs, des changements de comportement ont déjà été notés chez les participants aux Shawara Karatu. Ces membres de la communauté locale savent qu’ils devront rendre compte de ce qu’ils ont mis en place pour améliorer la qualité de l’école sur leur commune.

3) Une autre expérimentation menée par le Niger a consisté en l’organisation de micro-enseignements tutorés avec l’École normale des instituteurs. En quoi consiste cette méthode et quel est son intérêt ?

La deuxième expérimentation s’est quant à elle tenue à l’École normale des instituteurs de Niamey et concernait l’enseignement du français en classe de CE1. Cette expérimentation est dénommée « Atelier de micro-enseignement tutoré » (AMET). Des groupes de travail de sept à huit élèves ont été constitués autourd’un exercice de français, chacun animé par un élève tuteur ayant bien compris les leçons. Pendant ce temps, l’enseignant s’occupait d’un groupe plus en difficulté. Les exercices à trous ou de mise en ordre de mots d’une phrase portent sur des textes déjà lus en classe. La séance est filmée et les différentes séquences sont ensuite analysées aux fins d’amélioration. Au Niger, nous avons des classes de plusieurs niveaux (multigrades) avec beaucoup d’élèves. Nous avons constaté que cette méthode permettait à l’enseignant de mieux gérer ces très grands effectifs et les élèves en difficulté sont mieux pris en charge. En plus, cette expérimentation favorise le travail collaboratif des apprenants et développe les bonnes pratiques pédagogiques de l’enseignant dans la planification et l’exécution de son travail.

4) Comment le Niger peut-il utiliser les résultats de ce programme dans sa politique éducative ? Comment les capacités développées par les agents du ministère peuvent-elles être utilisées ?

Le Niger a entrepris de grandes réformes pour une transformation qualitative de son système éducatif. Les résultats de ce programme qui cadrent avec les pratiques pédagogiques innovantes seront pris en compte en vue de leur généralisation sur l’ensemble du pays. Nous avons entrepris un vaste programme de formation continue et de dynamisation des cellules d’animation pédagogique pour que les bonnes initiatives soient partagées entre encadreurs pédagogiques et enseignants.Les cadres du ministère de l’Éducation nationale ont été bien impliqués dans ce programme durant tout son processus. Les capacités qu’ils ont développées seront investies dans le Plan national de formation des enseignants en vue de rendre le système plus performant.