Au Sénégal, inspecteurs et directeurs s'auto-analysent pour mieux encadrer les enseignants

Être à l’écoute et s’intéresser aux difficultés : le Sénégal veut mieux accompagner ses enseignants. Avec l’appui de l’IIPE-UNESCO, des inspecteurs et directeurs d’école sénégalais, chargés d’encadrer les enseignants, apprennent à analyser et à améliorer leurs propres pratiques. Une manière concrète d’influer sur les résultats des élèves.

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Écoute, formation, soutien : trois conditions indispensables à un réel engagement des enseignants dans leur travail. Mais quand ces derniers ne rencontrent que très rarement d’encadrants ou ne disposent pas d’une formation continue qui réponde réellement à leurs besoins, cela se ressent bien sûr sur la qualité des apprentissages de leurs élèves. En tant que catalyseur du développement professionnel des enseignants, l’accompagnement pédagogique est pourtant essentiel. Il permet de rompre avec la solitude de l’enseignant, mais aussi d’être à l’écoute de ses difficultés et d’améliorer l’efficacité de son action.

Or, le manque de ressources financières et humaines rend cet accompagnement quasi inexistant ou inefficace. Au Sénégal, le Programme d’appui au pilotage de la qualité de l’Institut international de la planification de l’UNESCO (IIPE-UNESCO) a ainsi identifié comme problématique prioritaire ce besoin de renforcer l’encadrement des enseignants. Dans ce pays, les nombreux efforts réalisés pour que chaque enfant puisse accéder à une éducation de qualité ont produit des résultats mitigés, alors que des marges de manœuvre existent, en particulier sur cette question de l’accompagnement.

Au Sénégal, le personnel d’encadrement de l’Éducation nationale est censé assurer le suivi des enseignants de deux manières : soit l’inspecteur effectue des visites de classe, soit il réunit plusieurs maîtres au sein d’une cellule d’animation pédagogique. Mais à l’issue des rares rencontres effectivement tenues, les enseignants se sentent contrôlés plutôt qu’accompagnés, et l’objectif initial d’amélioration des compétences n’est pas atteint. « Les maîtres ressentent un décalage entre les aspects évalués par l’inspecteur, qui se comporte un peu comme un gendarme, et leurs besoins qui ne sont pas écoutés », décrit Émilie Martin, analyste des politiques éducatives à l’IIPE-UNESCO.

Mais l’insatisfaction est toute aussi grande chez les inspecteurs, croulant sous le travail, trop peu nombreux et aux missions très diversifiées et parfois mal définies : « Chacun a sous sa responsabilité 250 enseignants en moyenne, ils n’ont pas le temps de faire toutes les visites de classe », note Patrick Nkengne, responsable du programme et expert en pilotage de la qualité. « Ils doivent aussi gérer les écoles, organiser les examens professionnels des enseignants, résoudre les conflits au sein des établissements, et la liste est encore longue ! ». Le Sénégal, conscient du problème, a trouvé un début de solution en impliquant les directeurs d’école dans l’encadrement des enseignants. Mais ces directeurs ne sont pas formés à ces nouvelles fonctions et ont déjà un agenda bien rempli.

Expérimentation DAPA au Sénégal - Matar Fall, inspecteur de l'Enseignement, Thies

S’analyser en train de faire

L’IIPE-UNESCO a donc travaillé avec le gouvernement du Sénégal autour d’un projet pilote invitant les encadrants à prendre du recul sur leurs manière de travailler, pour aller vers une écoute plus active des enseignants, et baptisé « Démarche d’analyse des pratiques professionnelles et d’accompagnement ». Une expérimentation à laquelle ont participé une vingtaine d’inspecteurs et de directeurs d’école de l’Inspection d’Académie de Thiès (ouest du pays). L’occasion pour ce personnel de l’Éducation nationale d’exposer leurs problématiques professionnelles et d’échanger sur des récits vécus au travail, mettant parfois en lumière des situations communes.

Les inspecteurs et directeurs se sont également filmés lors de visites d’inspection en classe ou en cellule d’animation pédagogique. Les images ont ensuite été visionnées entre pairs et analysées par les participants de manière spontanée, puis plus finement, avec des grilles d’observation et d’analyse. « Dans ces vidéos, on voyait clairement cette tendance à ne jamais donner la parole à l’enseignant pour qu’il s’explique et l’intérêt d’une telle démarche est que ce sont les inspecteurs eux-mêmes qui l’ont noté », se remémore Émilie Martin. Les participants ont alors été invités à suivre une approche structurée et réfléchie qui respecte les étapes suivantes : i) observer de manière factuelle en décrivant ce qui est observé ; ii) analyser pour donner du sens et comprendre les faits observés, et iii) évaluer en portant une appréciation sur la façon de faire évoluer les pratiques observées.

Cet exercice d’auto-analyse par le biais du récit et la vidéo a permis aux encadrants de se questionner et d’envisager par eux-mêmes une évolution de leurs pratiques, de se donner des conseils et de tester des solutions sur leur lieu de travail. Ils ont par exemple saisit cette opportunité pour co-construire de nouvelles techniques d’accompagnement visant à établir un climat de confiance avec les enseignants lors des visites en classe, et ainsi rompre avec leurs pratiques habituelles souvent très injonctives. Résultat : les échanges avec les enseignants sont devenus plus horizontaux, plus collaboratifs et plus constructifs. Il y a d’ailleurs déjà eu un impact important chez les participants, comme en témoigne Kaita Diarra, directrice d’école élémentaire à Thiès : « Nous, directrices et directeurs, n’avons reçu aucune formation pour assumer ce rôle. Réfléchir à notre pratique professionnelle et à la meilleure manière d’être avec l’accompagné est forcément quelque chose d’intéressant ».

Mieux accompagner les enseignants, partout au Sénégal

L’heure est maintenant à la réflexion sur la façon dont la démarche d'analyse des pratiques professionnelles et d’accompagnement pourrait être pleinement intégrée dans la routine de travail des inspecteurs et des directeurs d'école du système éducatif sénégalais. Comment étendre cette démarche à l’ensemble du système ? Quelles sont les conditions et moyens nécessaires ? Cela nécessitera un travail de planification et d’élaboration de scénarios budgétisés, pour permettre au ministère de faire des choix éclairés pour une éventuelle généralisation de la démarche.

Grace à cette expérimentation, de possibles leviers d’actions ont été identifiés, en priorité celle de mieux réorganiser les charges de travail des inspecteurs et des directeurs d’école, afin de leur libérer du temps pour accompagner les enseignants. Les encadrants sont surchargés de tâches administratives de routine, dont certaines s’éloignent de leur description de poste officielle. Par conséquent, le temps qu’ils consacrent à l’accompagnement pédagogiques est réduit, voire inexistant.

Autre proposition : insérer la démarche d’analyse des pratiques professionnelles et d’accompagnement dans la formation initiale des inspecteurs et la formation continue des directeurs d’école. Formation qui alternerait théorie et pratique en mettant les encadrants en situation d’animation d’entretiens et de cellules d’animation pédagogique avec les enseignants, et favoriserait ainsi une posture d’accompagnement à laquelle ils n’ont pas été habitué.

Des résultats et propositions qui devraient être prochainement présentés aux décideurs politiques, en vue d’une possible généralisation de la démarche à l’ensemble du système éducatif et pour une école de meilleure qualité.

Expérimentation DAPA au Sénégal - Emilie Martin, Analyste des politiques éducatives - IIPE-UNESCO
Expérimentation DAPA au Sénégal - Kaita Diarra, directrice école élémentaire à Thies