Genre et éducation : et si l’on regardait du côté des ministères ? Le cas du Burkina Faso

En bref

Conscience de genre, proportion de femmes et d’hommes dans le corps enseignant, intégration du genre dans les politiques éducatives… dans quelle mesure les personnels des ministères de l’Éducation maîtrisent-ils ces notions et chiffres clés, et leurs subtils enjeux sous-jacents ? Au Burkina Faso, le ministère de l’Éducation nationale, de l’Alphabétisation et de la Promotion des Langues nationales (MENAPLN ) a récemment mené un Diagnostic Participatif Genre, avec l’appui de l’IIPE-UNESCO Dakar, pour identifier les bonnes pratiques, les lacunes et les pistes de progression en matière d’égalité et d’institutionnalisation du genre. Réalisé dans le cadre de l’Initiative Priorité à l’Égalité (GCI),cet exercice vise à promouvoir une intégration concrète et efficace de l’égalité et l’équité de genre aux différents niveaux des administrations éducatives du pays.

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Education Process
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Des bonnes pratiques saluées

Au Burkina Faso, d’importants efforts ont été déployés ces dix dernières années en faveur de l’égalité et de l’équité de genre dans l’éducation. Cette volonté politique s’est notamment traduite par une Stratégie nationale d’accélération de l’éducation des filles pour la période 2011-2021 ou par l’actuelle Stratégie nationale genre pour 2020-2024. Elle s’est aussi manifestée, en 2014, par la création d’une Direction de la Promotion de l’Éducation inclusive, de l’Éducation des filles et du Genre au sein du MENAPLN.

Pour ne donner que quelques exemples, le ministère de l’Éducation implique désormais des spécialistes du genre dans la conception et la révision des manuels et des programmes scolaires, de sorte à les prémunir des stéréotypes sexistes. De plus, depuis 2019, de nombreux ministères du Burkina Faso ont commencé à mettre en œuvre une planification et une budgétisation sensibles au genre et aux droits de l’enfant, prenant en compte ces deux thématiques transversales dans le processus budgétaire.

Cependant, malgré ce volontarisme et les progrès significatifs observés en matière de promotion de la scolarisation des filles, d’importantes disparités de genre demeurent dans le secteur de l’éducation au Burkina Faso. Alphabétisation, performances en mathématiques au primaire, accès à l’éducation post-primaire et secondaire… les inégalités persistent sur ces aspects, le plus souvent au détriment des filles et des jeunes femmes. Au sein du système éducatif également, les femmes sont minoritaires au sein du corps enseignant en particulier à partir du post-primaire – et sous-représentées dans les postes stratégiques du ministère.

Comment expliquer et combler les brèches ?

Pour trouver des réponses et des leviers d’action, le ministère de l'Éducation burkinabè a conduit un Diagnostic Participatif Genre avec l’appui de l’IIPE-UNESCO Dakar.

400
personnels Burkinabè ont activement participé au Diagnostic Participatif Genre, aux niveaux central et déconcentré.

Initiée en septembre 2021, puis retardée en raison de la situation sanitaire, politique et sécuritaire, l’analyse a été nourrie par les données recueillies lors de deux ateliers participatifs organisés en présentiel, une trentaine d’entretiens individuels et une enquête en ligne menée auprès des personnels des ministères. Au total, près de 400 personnes se sont activement mobilisées pour alimenter ce diagnostic genre, parmi lesquelles des agents départementaux, des directeurs et directrices d’établissements scolaires, des enseignantes et enseignants. L’analyse et les recommandations s’appuient en outre sur une vaste revue documentaire.

Diagnostic Participatif Genre : quelle est l’approche de l’IIPE ?

L'IIPE a une longue tradition d'analyses institutionnelles dans le domaine de la planification de l'éducation. Ces dernières années, ces études se sont appuyées sur des cadres et des méthodologies solides pour guider l'analyse de la capacité des ministères de l'Éducation à planifier, suivre et évaluer les politiques éducatives en général. Jusque-là, cette approche ne rendait pas compte spécifiquement de la manière dont le genre est pris en compte dans le fonctionnement des ministères et dans l’exécution de leur mandat. Ni de leurs capacités à promouvoir l'égalité et l’équité de genre dans et par l'éducation. Dans quelle mesure l'interaction entre les structures formelles et les règles informelles contribue à créer, reproduire ou au contraire combattre les préjugés sexistes susceptibles d’affecter le fonctionnement et l'efficacité des ministères de l'Éducation ? C’est précisément ce que cherche à étudier l’IIPE Dakar dans le cadre du DPG.

quelle est l’approche de l’IIPE

Développer la conscience de genre : une des clés du changement

Pour bâtir cette méthodologie spécifique, l’équipe Priorité à l’Égalité de l’IIPE s’est également inspirée des audits participatifs genre du Bureau International du Travail qui font leurs preuves depuis quelques années. L’analyse conduite au Burkina Faso prend en compte trois dimensions complémentaires vis-à-vis de la question du genre :

  • la conscience, les connaissances et les capacités des employés du ministère, à différents niveaux du système ;
  • la vision et les politiques mises en œuvre par le ministère ;
  • la dotation en personnel et la culture organisationnelle en interne.

Autrement dit, ce diagnostic participatif a cherché à aborder la question du genre à travers des interstices peu visibles de prime abord, notamment en décortiquant la perception des employés sur les stéréotypes de genre. « Quand une mère travaille, leur enfant en souffre », par exemple, ou encore « Les hommes font de meilleurs chefs d’entreprise que les femmes ».

Le diagnostic révèle une faible conscience de genre au sein du ministère de l’Éducation. Les données recueillies illustrent l’existence de plusieurs stéréotypes sexistes au détriment des femmes. Une grande majorité d’hommes et de femmes a en effet déclaré être moyennement d’accord avec plusieurs stéréotypes énoncés, témoignant d’un refus de se prononcer clairement sur les idées émises. 

Dans le milieu professionnel, la conscience de genre se manifeste par le fait de reconnaitre et défendre les besoins et intérêts de son groupe d’appartenance sexuelle tout en ayant la capacité d’identifier les privilèges, les différences, et les discriminations qui existent au détriment de l’autre sexe. Au sein des ministères, parvenir à une conscience forte et à une perception claire des inégalités de genre est une étape clé pour que les personnels et l’institution impulsent le changement.

Pour pouvoir agir sur les inégalités, les acteurs et actrices de l’éducation ont d’abord besoin de savoir reconnaître et se libérer des stéréotypes de genre.

Cécile Giraud
Analyste de l’éducation sensible au genre, Priorité à l’Égalité, IIPE-UNESCO Dakar

Si l’enquête en ligne a montré l’importance accordée par les personnels ministériels au renforcement de l’égalité de genre dans l’éducation, près de la moitié des personnes interrogées estiment toutefois que leurs capacités pour aborder ces questions sont « passables » voire « mauvaises ». Le diagnostic montre d’ailleurs que peu de collaboratrices et collaborateurs ont été formés sur des thématiques liées au genre, en particulier au niveau déconcentré.   

Parmi les autres limites mises en lumière par le diagnostic, le nombre très élevé de stratégies conduites par le ministère plus d’une centaine au total contribue à disperser les efforts relatifs au genre. L’analyse révèle en outre que la Stratégie Nationale Genre 2020-2024 est très peu connue des personnels. Faute d’être suffisamment promue en interne, cette stratégie reste trop peu visible et ne bénéficie donc pas d’un financement suffisant pour assurer efficacement sa mise en œuvre.

32%
des agents du MENAPLN ayant répondu à l’enquête en ligne confirment savoir qu’il existe une politique et une stratégie pour la prise en compte des inégalités entre les femmes et les hommes dans l’éducation au Burkina.

Partager les enseignements pour progresser

Bien d’autres aspects ont été examinés dans le cadre de ce diagnostic, dont les grands enseignements ont été restitués lors d’un atelier, à Ouagadougou, le 13 juin dernier. Suite à cette rencontre, un rapport sera officiellement restitué au MENAPLN. Il contient des pistes d’orientation pour tirer parti des bonnes pratiques et améliorer la capacité d’intégration de la dimension de genre, en renforçant les capacités du personnel sur ces questions et en accompagnant la transformation de la culture institutionnelle.

L’IIPE a mobilisé ses compétences pour nous appuyer dans la réalisation de ce Diagnostic Participatif Genre, qui débouche sur un rapport très riche, dont la première version a été bien accueillie par les partenaires techniques et financiers. Des suggestions très intéressantes ont été formulées pour permettre au Burkina Faso d’accélérer la réduction des inégalités de genre dans l’éducation.

Rasmata Ouédraogo
Directrice de la Promotion de l’Éducation inclusive, de l’Éducation des filles et du Genre, MENAPLN, Burkina Faso.

Depuis 2020, le Burkina Faso participe à l’Initiative Priorité à l’Égalité (Gender at the Centre Initiative – GCI), visant à promouvoir l’égalité de genre par l’éducation et dans les systèmes éducatifs africains. Coordonné par l’Initiative des Nations Unies pour l’éducation des filles (UNGEI ), ce programme est piloté par l’IIPE-UNESCO Dakar pour son volet technique en appui aux ministères de l’Éducation. C’est dans ce cadre que s’inscrit ce diagnostic.

Egalité de genre